Ce week-end, nous n’étions plus en Belgique en 2021 mais soudain catapultés aux Etats-Unis dans les années 20. Retour aux heures sombres de la Prohibition. Sauf que ce n’était pas de l’alcool qu’on se refilait sous le manteau dans des salles clandestines mais… de la culture.
Au Monty, à Genappe, Alain Moreau avait prévu un solo de cirque devant une trentaine de personnes. l’initiative a déclenché une descente de police disproportionnée.
Mais que nous est-il arrivé ? Ce week-end, nous n’étions plus en Belgique en 2021 mais soudain catapultés aux Etats-Unis dans les années 20. Retour aux heures sombres de la Prohibition. Sauf que ce n’était pas de l’alcool qu’on se refilait sous le manteau dans des salles clandestines de Bruxelles et de Wallonie mais… de la culture.
Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-il arrivé à notre pays pour qu’un solo de cirque devant une trentaine de personnes déclenche une descente de police disproportionnée comme ce fut le cas au Monty à Genappe vendredi soir ? Est-ce normal que se rendre dans un théâtre ou un cinéma nous propulse dans l’illégalité ?
Rappelons que, ce qui circulait ce week-end dans les lieux qui ont ouvert au public dans le cadre de Still Standing for Culture, ce n’était pas du whisky frelaté mais de la poésie, des films, des pièces, des débats. Ce qui se tramait dans ces repaires fermés par les autorités, ce n’était pas du tord-boyau de contrebande mais des histoires d’êtres broyés par les inégalités, des mélopées pour dire nos éclats de vie, des seuls en scène pour raviver nos éclats de rire, des bourrasques d’art et de liberté pour raccrocher les jeunes. Ceux qui, ce week-end, ont défié les Eliot Ness de notre gouvernement, ne sont pas des Al Capone mais d’honnêtes artisans de ce qui bâtit notre civilisation depuis plus de 2.000 ans. « La Culture, c’est ce qui résiste à la mort, » disait André Malraux.
Une injustice devenue injustifiable
Les « incorruptibles » diront que cette prohibition des arts de la scène, de la musique et du cinéma se mène au nom du droit à la santé. Que l’on ferme les salles de spectacles pour épargner les couloirs des hôpitaux. Mais ces arguments sont aujourd’hui devenus inaudibles. On ne compte plus les études qui montrent que les risques de contamination dans les lieux culturels sont infimes, loin derrière ceux que représentent les entreprises ou les commerces et métiers de contact. On ne compte plus les voix qui s’élèvent, dans les tribunaux notamment, suite à la victoire, en cour d’appel, du musicien Quentin Dujardin, pour dénoncer l’insoutenable discrimination qui frappe les artistes : comment accepter qu’on puisse se rendre dans un magasin de vêtements où l’on circule librement dans des rayons mal ventilés, et qu’on ne puisse pas être simplement assis dans une salle de spectacle, selon des protocoles hyper rodés et un système d’aération optimum ? C’est cette injustice devenue injustifiable qui a mené la Belgique à rejouer cette mauvaise parodie de Scarface (dans la version de Howard Hawks en 1932), avec des artistes dans le rôle des gangsters.
Ce week-end, la réponse des autorités à ces « speakeasy » de la culture avait les airs chaotiques d’un Chicago des années folles : brigades policières pour interrompre un spectacle ou évacuer une salle de cinéma ici, mais contrôle d’identité gentillet ou tolérance discrète là. Certains bourgmestres font pression ici, d’autres ferment les yeux là. On conçoit que l’équilibre soit difficile à trouver mais on nage désormais dans l’arbitraire et l’incohérence les plus surréalistes. La demande des artistes est pourtant claire : rétablir l’équité dans les restrictions au droit au travail entre secteurs, assurer le droit à la culture pour tous et clarifier les bases légales de mesures sanitaires nécessaires.